Liés grâce à une cravate

–Urgggg… c’est pas vrai !» dit Ryan à son image dans le miroir. Il regarde les bouts flottants de sa cravate. Il a une demi-heure pour s’y retrouver. C’est donc si difficile ?

Maman frappe à la porte de la salle de bains. « Ryan? » dit-elle à mi-voix.

– Entre, gémit-il.

Maman lui sourit en ouvrant la porte. « Ça marche ? »

– Pas trop. Je voudrais arriver à le faire comme Papa.

Le visage de maman s’assombrit un bref instant. Ryan regrette d’avoir mentionné son père mais il n’a pas pu s’en empêcher.

Maman retourne les extrémités de la cravate. « On ne pourrait pas trouver comment on fait dans le manuel du scoutisme ? » Elle va le chercher.

Ryan trouve ridicule d’avoir vécu jusqu’à l’âge de douze ans sans avoir appris à faire un nœud de cravate. Papa le lui faisait toujours. Mais maintenant maman et papa sont divorcés et papa habite à l’autre bout de la ville.

Maman revient avec le livre ouvert à une page. « Tu veux que j’essaye ? ».

– Vas-y, dit Ryan, essayant d’être gentil. Maman est intelligente, mais elle n’a pas vraiment la réputation de savoir faire les nœuds.

Elle fait quelque chose qui ressemble à un début d’origami, puis elle défait le tissu soyeux et recommence. Après un nouvel échec, elle pousse un profond soupir.

Tout à coup, Katie, la sœur aînée de Ryan, surgit dans la salle de bains. « Ryan ! Qu’est-ce qu’elle a ta cravate? » demande-t-elle, comme si celle-ci était une espèce de mutant.

– Rien, dit maman en manipulant le tissu. Il n’y a rien qui va

– Je vais être en retard, dit Ryan en essayant de ne pas montrer son énervement. Mais il est énervé. C’est la première fois qu’il va distribuer la Sainte-Cène depuis son ordination à l’office de diacre et sa cravate est moche.

– Tu ne vas quand même pas distribuer la Sainte-Cène comme ça, dit Katie.

Maman pousse gentiment Katie hors de la salle de bains, puis rentre. « J’ai une idée », dit-elle.

Ryan la regarde, sceptique.

– Et si tu courais un peu en avance jusqu’à l’église et demandais à l’évêque de le faire?

L’évêque ? Ça ce serait embarrassant ! Ryan se dit qu’il préférerait rester à la maison plutôt que d’entrer dans l’église, la cravate à la main et d’aller trouver l’évêque devant tout le monde.

– Je parie qu’il aide tout le temps Peter à faire sa cravate, dit maman.

Peter est le fils de l’évêque. « J’en doute, dit Ryan. » Il se regarde dans le miroir, sourcils froncés, et tire sur sa cravate.

Quand il arrive à l’entrée de l’église, Ryan sent le rouge de l’humiliation lui brûler les joues. Qu’est-ce que les autres garçons vont penser de lui s’ils le voient demander à l’évêque ? Pourquoi sa maman n’a-t-elle pas pu le faire pour lui ? Il envisage de faire demi-tour. C’est alors que quelque chose de discret mais de fort lui dit d’entrer dans la salle de Sainte-Cène et que tout se passera bien.

Il prend une bonne inspiration et passe la double porte. Il est en avance, de sorte que la salle de Sainte-Cène est presque vide à part l’organiste et quelques personnes assises au premier rang. L’évêque, frère Anderson, est là aussi, tête penchée, en train de lire tranquillement les Écritures. Juste à ce moment, il lève les yeux et voit Ryan. Il pose ses Écritures et s’avance dans l’allée. Il lui tend la main.

– Bienvenue, Ryan. Tu es content de distribuer la Sainte-Cène aujourd’hui ?

– Ben, j’ai un petit problème, dit Ryan.

– Ne t’en fais pas. Tout le monde est nerveux la première fois. J’ai marché sur le pied d’une dame quand j’avais ton âge. Tout s’est bien terminé.

– Non, dit Ryan en tendant sa cravate.

– Ah, c’est çà ! Viens avec moi, dit l’évêque.

Ils vont tous les deux dans le hall d’entrée. L’évêque montre à Ryan comment faire une boucle et avant qu’il ne sache ce qui lui arrive, il a une cravate qui a l’air normal. Frère Anderson ne s’est pas moqué de lui ni ne lui a fait sentir qu’il devrait déjà savoir faire un nœud de cravate. Il n’a pas non plus pris Ryan en pitié.

– Je suis content que tu m’aies demandé de t’aider à faire ce nœud, dit l’évêque pendant qu’ils rentrent dans la salle de Sainte-Cène.

Ryan hoche la tête. Il est toujours embarrassé mais bien moins maintenant que sa cravate est mise.

L’évêque lui met la main sur l’épaule. « Cette paroisse est comme une grande famille et je me sens toujours mieux quand on prend soin des membres de ma famille. » Puis il va prendre place sur l’estrade.

Pendant qu’il distribue la Sainte-Cène, Ryan voit des visages souriants, qu’il connaît bien. Il pense à ce que l’évêque a dit. Cette paroisse est comme une grande famille et c’est une famille dont il aime faire partie.